L'Ombudsman des vétérans devant le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes

Ottawa ON
Canada

Monsieur le président et membres du Comité,

Introduction

Je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui pour commenter votre étude intitulée « Obstacles à la transition et résultats mesurables d’une transition réussie ».

Ce n’est malheureusement pas la première fois que je viens sur la Colline du Parlement pour parler de la transition des militaires des Forces armées canadiennes vers la vie civile. J’ose espérer que ce sera la dernière parce que nous devons vraiment prendre des mesures plutôt que d’effectuer de nouvelles études sur le sujet.

En tant que vétéran ayant servi 37 ans dans les Forces armées canadiennes, je connais les défis que pose la transition vers la vie civile sur le plan personnel et professionnel. Je connais bien le sujet, puisque j’ai moi-même vécu une transition vers la vie civile. J’ai aussi été témoin de celle de mon fils, qui a servi en Bosnie et en Afghanistan. En outre, des milliers de vétérans que j’ai rencontrés et avec lesquels j’ai travaillé partout au Canada m’ont fait part de leur expérience depuis que j’ai été nommé ombudsman des vétérans en 2010.

C’est le 23 avril 2015 que j’ai discuté pour la dernière fois de transition vers la vie civile avec votre Comité. J’ai également comparu devant le sous-comité sénatorial des anciens combattants pour présenter un exposé sur la transition vers la vie civile le 29 mars 2017. À ces deux occasions, j’ai souligné que le processus de transition des Forces armées canadiennes vers la vie civile devait être aussi rigoureux que le processus de recrutement au sein des Forces armées canadiennes. J’ai également indiqué que le processus de transition doit aider les militaires en voie de libération et leur famille à commencer une nouvelle vie qui a un sens, qui est adaptée à leurs besoins et à leurs objectifs personnels et qui leur offre le meilleur avenir possible, que les militaires retournent aux études, entament une nouvelle carrière, prennent leur retraite ou se portent bénévoles au sein de leur collectivité. Permettez-moi de mentionner de nouveau que la majorité de mes recommandations concernant la transition, que j’ai formulées en 2015, n’ont pas eu de suite. Je ne dis pas qu’aucun progrès n’a été réalisé. Je dis simplement que nous ne progressons pas assez rapidement.

Chaque année, plus de 10 000 militaires sont libérés des Forces armées canadiennes, dont environ 1 600 pour des raisons médicales. Le sondage de l’Étude sur la vie après le service militaire mené en 2016 par Anciens Combattants Canada révèle que près du tiers des vétérans (32 %) déclarent rencontrer des difficultés relativement à leur transition. Ce pourcentage a augmenté depuis l’étude antérieure. Il est évident qu’il faut y remédier.

Il importe de se rappeler que ce ne sont pas tous les militaires libérés qui auront besoin de l’aide d’Anciens Combattants Canada, mais ceux dont c’est le cas devraient recevoir les avantages et les services dont ils ont besoin au moment et à l’endroit où ils en ont besoin.

Les faits

Je travaille d’arrache-pied depuis longtemps pour moderniser la transition vers la vie civile. En août 2014, j’ai lancé un projet commun avec l’ombudsman du MDF et des FAC dans le but de réviser l’ensemble du processus de transition dans une optique factuelle. Les principales constatations issues de ce projet ont révélé les raisons pour lesquelles la transition vers la vie civile est souvent une expérience déroutante et frustrante pour les vétérans et leur famille. (Infographie – Projet conjoint de transition : Fermer la brèche)

Nous avons établi le premier diagramme complet du processus de transition des militaires en voie de libération de la Force régulière et de la Force de réserve pour raisons médicales. Il révèle que les programmes et services de transition vers la vie civile reposent largement sur des formulaires et des processus bureaucratiques plutôt que sur les besoins des militaires et de leur famille.

Des intervenants d’au moins 15 organismes jouent un rôle dans le processus de transition vers la vie civile. Ils possèdent des cadres de responsabilisation, des mandats et des processus distincts. Les vétérans sont déroutés et ne savent pas à qui s’adresser pour obtenir de l’aide.

Nous avons également constaté que les services ne sont pas uniformes dans l’ensemble du pays et que les partenaires de service ne sont pas situés sous un même toit. Il n’existe donc pas de guichet unique pour les militaires en voie de transition. J’ai fait ce constat en 2015 et je crois que peu de choses ont changé depuis.

Les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada possèdent des systèmes de gestion de cas différents et exigent de remplir de nombreux formulaires de consentement. Il en découle qu’un ou une militaire doit raconter son histoire plus d’une fois dans le cadre du processus. Par exemple, chaque fournisseur de services doit obtenir un consentement pour pouvoir échanger de l’information. Sans ce consentement, le fournisseur de services ne peut pas engager des discussions de fond sur les besoins liés à la transition vers la vie civile. Un ou une militaire peut avoir l’impression d’avoir déjà donné son consentement alors, qu’en réalité, plusieurs autres consentements peuvent être requis, ce qui entraîne des délais.

Les centres intégrés de soutien du personnel n’offrent du soutien qu’aux militaires libérés pour des raisons médicales dont les dossiers sont complexes. Or, seulement 10 % de toutes les libérations pour raisons médicales sont jugées complexes. Les militaires qui font partie de ce 10 % bénéficient d’un plan de transition intégré et d’un soutien personnalisés. Les militaires en voie de libération ne devraient-ils pas tous avoir la possibilité d’accéder au même type de planification, de coordination et de suivi s’ils en ont besoin?

En outre, malgré les recommandations que j’ai formulées en 2013 et plusieurs analyses effectuées, il subsiste un chevauchement des programmes de réadaptation professionnelle, d’éducation et d’invalidité de longue durée au sein des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada, ce qui complique les choses pour les militaires en processus de transition et les déroute. Il existe trois programmes de réadaptation professionnelle, soit le Régime d’assurance-revenu militaire, le Programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada et le programme interne de réadaptation professionnelle à l’intention des militaires actifs du ministère de la Défense nationale. Chaque programme dispose de ses propres critères d’admissibilité et modalités d’évaluation et offre des avantages particuliers. Il n’existe malheureusement aucun mécanisme qui assure la coordination des avantages ou une meilleure aide possible aux militaires pour répondre à leurs besoins.

On a beaucoup parlé d’une intervention plus hâtive d’Anciens Combattants Canada auprès des militaires libérés pour raisons médicales. La première intervention commence maintenant avec l’entrevue de transition effectuée généralement dans les six mois précédant la date de libération. Même si j’estime que cette intervention plus hâtive constitue une amélioration, elle arrive encore trop tard pour aider adéquatement les membres en voie de libération pour raisons médicales dans l’élaboration d’un nouveau projet de vie et pour s’assurer que les avantages et les services sont approuvés avant la libération. Par exemple, si un ou une militaire veut entrer à l’université, il ou elle doit choisir un programme, s’assurer qu’il ou elle possède les prérequis, remplir les équivalences de compétences et faire une demande d’admission. Il s’agit d’une décision importante qui exige une planification et une prise de décision réfléchies. Ce n’est pas ce qui se produit dans de trop nombreux cas.

Plusieurs services et programmes liés à la transition vers la vie civile sont offerts aux familles, mais ils ne sont pas facilement accessibles, ni largement publicisés. Dans la plupart des cas, les familles sont mises au courant de l’existence de ces services par le ou la militaire. Nous devons établir des liens et faire mieux encore.

Enfin, notre analyse a démontré que le processus de libération était conçu pour les membres de la Force régulière. Il n’existe que 24 centres intégrés de soutien du personnel pour les 263 unités de la Réserve du pays. Cela signifie que des membres de la Force de réserve doivent compter sur le soutien de leur unité pour faciliter leur processus de transition vers la vie civile. Il en découle que les réservistes se voient offrir des niveaux d’expertise et de service qui varient. Ce n’est tout simplement pas suffisant.

Ma vision de la transition vers une vie civile

J’envisage un processus de transition pour tous les membres des Forces armées canadiennes, ceux de la Force régulière et de la Force de réserve, qu’ils soient libérés pour des raisons médicales ou autres, qui comprendrait des éléments similaires à ceux du processus de recrutement, soit :

  • Des « centres de transition » dans tout le pays relevant d’une seule autorité et offrant un guichet unique d’accès aux militaires en voie de libération et qui veilleraient à ce qu’ils reçoivent tous les avantages requis au moment de la libération.
  • La désignation d’une personne en chair et en os, ou d’un navigateur, pour tous les membres de la Force régulière et de la Force de réserve, libérés pour des raisons médicales ou autres. Cette personne serait responsable :
    • d’aider les militaires à remplir les formulaires et à présenter une seule demande pour tous les avantages;
    • d’aider les militaires à planifier leur libération et à fixer les rendez-vous nécessaires;
    • de donner des conseils relativement aux organismes tiers qui peuvent offrir un soutien aux militaires;
    • de réaliser un suivi à des intervalles prédéterminés après la libération afin de s’assurer que les besoins en évolution sont comblés.
  • Un seul programme de réadaptation professionnelle et d’invalidité de longue durée qui met à la disposition des militaires un conseiller professionnel pour les aider à déterminer leurs besoins en matière de scolarité, de formation ou d’emploi et à trouver un nouveau sens à leur vie.
  • Une carte d’identité des vétérans pour tous les militaires en voie de libération délivrée en reconnaissance de leur service.

Ma vision s’inspire également d’une petite étude qualitative effectuée par mon équipe l’an dernier dans le but de mieux comprendre l’expérience vécue par les vétérans libérés pour raisons médicales et les facteurs qui contribuent à une transition réussie vers la vie civile. Après tout, si vous voulez réussir dans un domaine, comme le dit le vieil adage, apprenez de quelqu’un qui a réussi. (Infographie – Faire une transition réussie : une étude qualitative)

Ma vision est également étayée par ce que j’ai entendu dans les nombreuses activités de sensibilisation que je réalise chaque année dans l’ensemble du pays, dans le cadre desquelles je discute face à face avec les vétérans et leur famille, les porte-parole et les organismes nationaux, régionaux et locaux des vétérans, ainsi qu’avec les dirigeants municipaux.

Nous avons constaté que les principaux facteurs qui contribuent à une transition réussie sont :

  • planifier à l’avance;
  • être proactif et « s’approprier » la transition vers la vie civile;
  • avoir le soutien de sa conjointe ou de son conjoint.

Le principal défi que doivent relever les vétérans en processus de transition vers la vie civile consiste à trouver un nouveau sens à leur vie après leur service militaire. Je crois que ce défi doit être relevé rapidement avec l’aide d’un navigateur qui possède une expertise en matière de programmes des Forces armées canadiennes et d’Anciens Combattants Canada et qui peut orienter le ou la militaire en processus de transition vers les programmes les plus adéquats pour répondre à ses besoins.

  • Un vétéran a déclaré : « L’armée c’était ma vie, ma famille, c’était tout pour moi. J’ai joint l’armée à 19 ans. Avant cela, j’étais à l’école secondaire. Je n’ai jamais vraiment vécu ma vie d’adulte en tant que civil. Je n’ai pas l’impression de « retourner » à la vie civile, mais de devenir un civil pour la première fois. »
  • Un autre vétéran a déclaré : « Ce avec quoi j’ai le plus de difficulté, c’est l’intégration dans une société et une culture que je connais peu et dans lesquelles les normes et les comportements que j’ai appris au cours de mes 15 ans et plus de services au sein des FAC ne s’appliquent pas ».

Il ne s’agit pas simplement d’un changement d’emploi dans la société civile. Il s’agit d’une transition culturelle complexe vers une société dans laquelle les normes et les règles sont, dans bien des cas, différentes. Ce n’est pas simple.

Conclusion

Honorables membres du Comité, il est temps de passer des paroles aux actes. Les recherches et les études ont été effectuées, les analyses et les rapports ont été rédigés et des recommandations ont été formulées il y a plusieurs années.

Dans ma vision du processus de transition vers la vie civile, le ou la militaire en voie de libération et sa famille commenceraient une nouvelle vie qui a un sens, mais pour ce faire, il faut procéder à une refonte du système et offrir un soutien personnel plutôt que d’effectuer un nouveau cycle de modifications des différents programmes et processus.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, nous devons nous assurer que les militaires sont outillés pour commencer une nouvelle vie qui a un sens, taillée sur mesure pour répondre à leurs besoins, lorsqu’ils quittent les Forces armées canadiennes. Ce ne sont pas tous les militaires libérés qui auront besoin de l’aide d’Anciens Combattants Canada, mais ceux dont c’est le cas devraient recevoir les avantages et les services dont ils ont besoin, au moment et à l’endroit où ils en ont besoin. Cette mesure devrait s’appliquer aux membres de la Force régulière et aux réservistes, qu’ils soient libérés pour des raisons médicales ou non.

Les vétérans et leur famille nourriront ainsi un espoir en l’avenir. Sans espoir, aucun progrès ne peut être réalisé.

Nos vétérans ont bien servi notre pays. Ils ne méritent rien de moins.

Merci.

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